Changement climatique, pourquoi nos comportements évoluent-ils si peu?

La nécessité d’agir pour le climat est communément admise. L’impact de nos modes de vie sur les limites de la planète n’est plus remis en question. Nous sommes tous parfaitement conscient de l’urgence de la situation… et malgré cela, nos actions sont rares, nos comportements et nos habitudes ne changent que très peu. Pourquoi ?

Comprendre les mécanismes qui nous poussent à agir est nécessaire pour influencer nos comportements.

Participer au développement de solutions qui permettent d’autoconsommer une part plus importante de la production d’électricité renouvelable est la raison d’être du Swiss Energypark. Les projets qui mènent à ces solutions sont de 3 types :

  • Hardware ou physiques– comme par exemple au travers du projet CircuBat où une économie circulaire autour des batteries de véhicules électriques est développée. Une des étapes de recherche étant le stockage électrique à l’échelle du réseau. (Cf. revue de la CEP 166)
  • Software ou digitaux – notamment grâce aux nouveaux outils que sont la blockchain, l’intelligence artificielle, le machine learning et le deep learning (Cf. revue de la CEP 163)
  • Comportementaux – une compréhension des mécanismes qui nous poussent à agir – ou à ne pas agir – est absolument nécessaire pour accompagner les changements que nous devrons intégrer individuellement et collectivement.

Cet article présente quelques aspects, quelques résultats significatifs des recherches qui participent à la compréhension de nos comportements.

En 2002 le psychologue Daniel Kahneman gagnait le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur le comportement humain et plus spécifiquement l’irrationalité des décisions humaines. Il va mettre en évidence – par des expériences de laboratoire – la différence entre le comportement réel et le comportement le plus profitable. En d’autres termes, nos décisions et nos choix sont parfois biaisés par des éléments qui conduisent à des actions irrationnelles.

Par la suite, D. Kahneman mettra en évidence, que le 98% des 35’000 décisions que nous prenons quotidiennement sont prises de manière inconscientes et sont basées sur la volonté de déboucher sur une solution satisfaisante à court terme.

Si la plupart de nos décisions sont prises de manière inconsciente, quels sont les critères qui font pencher la balance.

De nombreuses recherches ont été menées sur ce sujet et le livre de Sébastien Bohler « Le bug humain » en fait une synthèse et une analyse intéressante.

Depuis 500 millions d’années, le cerveau animal a développé une stratégie pour augmenter les chances de survie de l’espèce. Par exemple, tuer une proie était une tâche ardue et rare pour nos ancêtres préhistoriques. Constituer des réserves en mangeant un maximum de viande était une manière d’augmenter ses chances de survie. Manger autant que possible est le premier des 5 piliers qui constituent cette stratégie ; les quatre autres sont la multiplication des partenaires afin d’assurer une descendance, la domination, la loi du moindre effort et l’accès à l’information.

Le cerveau a développé le « système de récompense » pour encourager ces comportements. Ce mécanisme se situe dans une des couches les plus profonde de notre cerveau, le striatum.  Il est basé sur la libération de dopamine – l’hormone du bonheur. Cette dernière procure un plaisir intense lorsqu’une action a été menée à bien, mais elle renforce aussi le circuit neuronal lié à cette réalisation. Cela pour favoriser la reproduction de l’action. Ce système de récompense influence une grande partie de nos comportements et de nos addictions comme nos envies de sucre, de tabac…

Les individus présentant la plus forte propension à l’assouvissement des 5 piliers de cette stratégie augmentent leur chance de propager leurs gènes. Ainsi à l’instar du darwinisme, ces caractéristiques ont été sélectionnées et ancrées aux cours d’innombrables générations ; tant et si bien qu’aujourd’hui, nous présentons tous une version très intense de cette proposention à l’excès de nourriture, de sexe, de domination, de limitation de l’effort et de la soif d’information.

Mais les conditions ont changé…

Cependant, les conditions au cours de ces dernières décennies ont fondamentalement changé. La culture et l’élevage intensif permettent un accès à la nourriture sans limite. Avec plus de 250 millions de visites par minutes sur les

principaux sites pornographiques, l’accès au sexe est lui aussi illimité. Il en va de même pour l’accès à l’information. La volonté de s’imposer, de dominer est en partie assouvie grâce aux réseaux sociaux. Les développements technologiques comme la robotique ont permis à notre inclinaison au moindre effort de se développer.

Notre cortex cérébral est le siège de toutes ces innovations. Il permet de conceptualiser des situations, collaborer avec d’autres individus, échafauder et mettre en œuvre des stratégies, d’évaluer les conséquences à long terme… en un mot d’innover. Il a réussi à modifier significativement les conditions dans lesquelles nous vivons. Malheureusement, les innovations du cortex cérébral ont été mises au service de la stratégie du striatum et des 5 piliers.

L’exemple de la nourriture et de l’encouragement à manger le plus possible est révélateur. Lorsque notre ancètre préhistorique arrivait à tuer une proie, il n’avait que quelques jours pour manger le plus possible, pour consituer les reserves nécessaires à sa survie. De nos jours l’accès à la nourriture n’est plus limité, bien au contraire. L’élevage et la culture intensive, la technologie, la chaîne du froid, les agents conservateurs, la livraison de plats cuisinés… permettent un accès sans fin à la nourriture et – dans ces conditions – le système de récompense qui encourage à manger le plus possible devient contre-productif, voir même dangereux. Il en va de même pour les 4 autres piliers de cette stratégie.

Serons-nous capables de « déconstruire » 500 millions d’années d’ancrage de comportements en quelques décades ?

Notre relation à l’énergie et plus spécifiquement à l’électricité doit aussi évoluer…

La société à 2000 watts est un modèle de politique énergétique développé par l’EPFZ qui correspond à la consommation énergétique moyenne annuelle et mondial de 1990 par personne. En 2019, la consommation énergétique en Suisse par habitant était 2 à 3 fois supérieure à cet objectif (1). La part électrique représente 20% de notre consommation énergétique (2). Une sobriété électrique va devoir accompagner le développement des énergies renouvelables et l’accroissement de l’efficience

énergétique.

Notre usage domestique est réparti selon les proportions suivantes (3):

Répartition de la consommation électrique d’un ménage-type en 2019

Si isoler sa maison ne nécessite pas d’adaptation de nos modes de vie, la répartition de notre consommation électrique domestique montre clairement qu’une réduction impliquerait une diminution de notre confort et de nos habitudes.

Est-ce envisageable de modifier notre système de récompense ? Il a été développé et « optimisé » au fil d’innombrable générations. Les chances sont minimes car la libération de dopamine – l’hormone du plaisir – est liée l’excès et à la satisfaction immédiate, dès lors, la transformation qui consisterait associer sobriété et enjeux à long terme semble improbable.

La conscience et la norme sociale…

La seule faille du système qui dirige et domine notre fonctionnement est la conscience. Elle peut mettre en lumière ces comportements. Le léger décalage induit par l’instant d’attention, porté à l’action que nous sommes sur le point de réaliser, permet de sortir de l’automatisme de notre inconscient. Cependant, la bataille entre la connaissance de nos réflexes ancestraux, exploités par des outils marketing d’une efficacité remarquable, et la conscience de l’instant et des conséquences que nos choix pourraient avoir à long terme est inégale. Associer la reconnaissance sociale à ces choix, augmente les chances d’une adaptation des comportements compatibles avec les limites de notre planète.

Laurent Raeber, directeur Swiss Energypark & Société Mont-Soleil

Sources :